- Honorable John Mongella, Haut-Commissaire d’Arusha, représentant Son Excellence Mme Samia Suluhu Hassan, Présidente de la République-Unie de Tanzanie ;
- Son Excellence Abdulatif Abidi, Ambassadeur du Royaume du Maroc en République-Unie de Tanzanie ;
- Son Excellence Dr. Emmanuel Ugirashebuja, Président de la Cour de Justice de l’Afrique de l’Est ;
- Honorable, Moses G. Mzuna, Juge à la Haute Cour de Tanzanie et Juge responsable du Tribunal d’Arusha ;
- Honorable Juge Ben Kioko, Vice-président de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ;
- Honorables Juges de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ;
- Dr Robert Eno, Greffier de la Cour africaine ;
- Honorables Invités ;
- Mesdames et Messieurs les membres du personnel de la Cour ;
- Mesdames, Messieurs ;
- Tous en vos rangs et qualités
J’ai l’insigne honneur et le grand grand plaisir de vous accueillir à la présente audience publique de la Cour consacrée à la prestation de serment de deux juges de la Cour élus par le Conseil exécutif de l’Union africaine au mois de février de cette année, lors de sa 31ème Session ordinaire. Saisissant l’occasion de cette rencontre officielle organisée pour souhaiter la bienvenue à nos nouveaux collègues élus, je voudrais, en même temps, m’adresser à vous tous, membres de la Cour ou pas, au moment de faire mes adieux et de quitter mes fonctions de Juge et de Président de la Cour. Mon intervention repose essentiellement sur trois termes importants: gratitude, réalisations et espérance.
Permettez-moi de commencer en sacrifiant à notre tradition tout en réalisant l’objectif initial de cette rencontre. Je voudrais, à cet égard, vous souhaiter chaleureusement et cordialement la bienvenue à la Cour à vous chers collègues, j’ai nommé les honorables Juges Dumisa Ntsebeza d’Afrique du Sud et Modibo Sacko du Mali. Je demeure convaincu que grâce à la riche expérience que vous avez accumulée, à vous deux, la Cour tirera profit de nouvelles opinions et de nouveaux points de vue qui l’aideront à remplir son mandat. Par ailleurs, vous êtes, à mon avis, venus apporter un peu de fraîcheur à la Cour africaine, qui a grandement besoin de la coopération des États, l’un de vous venant d’Afrique du Sud, un État qui n’a pas encore reconnu la compétence de la Cour, et l’autre du Mali, un État qui coopère pleinement avec la Cour. J’espère sincèrement que vous êtes le symbole d’un nouveau départ, en termes de coopération des États avec la Cour. Cela dit, je reviens maintenant à mes trois termes : la gratitude, les réalisations et l’espoir, que j’ai mentionnés plus haut et qui constituent le fil conducteur de mon intervention, au moment où je fais mes adieux à l’ensemble de la communauté africaine de la justice des droits de l’homme, en général, et à notre Cour, en particulier.
Parlant de gratitude et m’exprimant également au nom de l’honorable Vice-président de la Cour en tant que Bureau, je crois que c’est au personnel très dévoué de la Cour et à son soutien à notre action à la tête de l’institution au cours des quatre dernières années, que nous devons avant tout exprimer notre reconnaissance. Nous avons en effet bénéficié de l’appui sans cesse plus efficace d’un personnel hautement qualifié, extrêmement dévoué et très compétent, travaillant sous l’autorité du Greffier, le Dr Robert Eno, et je voudrais, à ce niveau, vous demander à vous tous de les féliciter d’avoir, sous notre présidence, bien travaillé au service du continent. Le travail d’équipe et l’esprit de famille sont deux des principaux points que je retiens de mon expérience avec le personnel de la Cour et il en est de même concernant ma collaboration avec mon collègue, qui est devenu un ami, l’Honorable vice-président, le Juge Ben Kioko.
La confiance que vous avez peut-être tous constatée au cours de ces quatre dernières années et demie de ma présidence doit certainement beaucoup au sens aigu du service, à l’efficacité, aux talents de diplomate et à l’amitié du Juge Kioko. Je voudrais tout particulièrement adresser mes remerciements à l’ensemble des juges qui ont servi sous notre présidence pour leur soutien, même lorsque nous faisions face à d’importants malentendus et de profonds désaccords concernant, notamment, des questions judiciaires et celles touchant à l’administration de la justice. Ils ont toujours mis l’intérêt de la Cour au-dessus de toutes les autres considérations personnelles et veillé à ce que la légalité prévale en toutes circonstances. Permettez-moi enfin de dire ma gratitude au gouvernement de la République de Côte d’Ivoire pour avoir cru en mes capacités d’apporter une précieuse contribution à la Cour, ma candidature à la fonction de juge ayant été présentée deux fois, et de m’avoir ainsi donné la possibilité de servir comme Président de l’institution. Comme je le rappellerai plus tard, la coopération des États doit demeurer la condition sine qua non de l’exécution efficace du mandat de la Cour.
Honorables collègues, chers invités, permettez-moi maintenant de m’arrêter sur les réalisations, pour aborder le deuxième point de mon intervention. Lorsque j’ai assumé la présidence de la Cour, en septembre 2016, dans le cadre d’un duo avec mon cher collègue, le juge Ben Kioko, nous nous étions fixé comme objectif principal, entre autres, de porter la Cour à un niveau supérieur en termes de coopération avec l’Union africaine et les États membres, mais également avec les autres parties prenantes. Pour faire l’économie du temps, permettez-moi de souligner rapidement quelques-unes de nos réalisations en tant que Bureau, notamment le renforcement de la coopération avec les États en obtenant des ratifications et des reconnaissances de compétence ; mais aussi la mise en œuvre des décisions de la Cour, en intervenant après qu’un arrêt a été rendu ou en agissant de manière proactive.
Nous avons également consolidé la coopération avec le Comité des représentants permanents et le Conseil exécutif, ainsi qu’avec la Commission de l’Union africaine, comme en témoigne l’adoption régulière de nos rapports d’activité et les félicitations que nous recevons après nos échanges, dans le cadre de la coopération, avec les organes délibérants de l’Union. Sous notre présidence, la Cour a considérablement gagné en visibilité, comme en témoignent le fait que le Dialogue judiciaire se tienne régulièrement, le lancement des premières activités de la coopération judiciaire internationale telles que le Forum avec les institutions sœurs, notamment les cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme, mais également avec les institutions régionales sœurs, notamment la Commission de Banjul ainsi que la CEDEAO et les cours de justice de la Communauté de l’Afrique de l’Est.
Au cours des dernières années, nous avons ouvert de nouvelles perspectives en termes de procès équitable devant la Cour en consolidant l’assistance judiciaire en sélectionnant et en formant des avocats de renom issus de tout le continent et en établissant le cadre d’un régime d’assistance judiciaire qui rend l’accès à la justice plus abordable aux Africains dont les droits fondamentaux ont été violés et qui ont besoin d’un soutien.
Toujours sous notre présidence, il a été adopté un nouveau Règlement intérieur de la Cour, avec de très importantes améliorations en matière d’administration de la justice. De même, les ressources financières, matérielles et humaines de la Cour ont été renforcées et les moyens techniques améliorés.
Une chose que j’aurais aimé également ajouter, c’est que l’adhésion des États à la Cour s’est aussi considérablement améliorée dans les dernières années, mais il faut toutefois regretter qu’elle ait fait face à des défis majeurs dans ce domaine, tout particulièrement pendant les deux dernières années. À cet égard, je tiens honnêtement à faire part de mes préoccupations, sans oublier néanmoins de rester très positif en gardant espoir.
J’en arrive maintenant au troisième et dernier point de mon intervention. Je ne peux que garder espoir devant les difficultés auxquelles la Cour a récemment fait face dans ses rapports avec les États, tout particulièrement ceux ayant reconnu sa compétence obligatoire au cours de ses 15 premières années de fonctionnement. Je ne peux donc qu’exprimer mon espoir, alors que je reviens tout juste d’une visite de courtoisie aux autorités de notre cher pays d’accueil, la République-Unie de Tanzanie. Pendant la visite, bon nombre d’entre vous ont pu constater les grands espoirs placés par les populations et les médias dans certaines des annonces faites par les autorités tanzaniennes concernant la coopération du pays hôte avec la Cour. La seule promesse de Son Excellence la Présidente de la République de réexaminer la décision de retrait de la juridiction obligatoire de la Cour témoigne déjà du fait que les États qui ont retiré leurs déclarations n’ont jamais nié à la Cour quelque légitimité que ce soit ou qu’ils ont repris leur coopération avec la Cour.
Il convient en effet de rappeler que presque tous les États qui se sont retirés à ce jour ont continué de participer de manière régulière aux travaux de la Cour, y compris pour les affaires soumis après leur retrait, qui, comme en a décidé la Cour, relèvent toujours de sa compétence. En réalité, nous avons constaté que bon nombre de ces mêmes États ont adopté une approche proactive ou préventive à l’égard du travail de la Cour en faisant preuve de diligence dans le traitement des dossiers ou en prenant des mesures concernant des affaires qui étaient alors ou sont toujours pendantes devant la Cour.
Cela dit, il me faut reconnaître qu’il est urgent que la Cour prenne d’importantes mesures concernant sa coopération avec les États. Pour être franc, je voudrais préciser que je suis un ardent défenseur de la diplomatie judiciaire qui, nous l’avons tous constaté, n’est pas étrangère à notre pratique et se fonde également sur des dispositions, telles que celles édictées non seulement par le Protocole instituant la Cour mais aussi par notre Règlement intérieur et, enfin, sur nos relations avec les organes délibérants de l’Union et avec les différents États dans le cadre d’engagements bilatéraux. Les États sont et demeureront nos principaux interlocuteurs pour la réalisation des objectifs de la justice, comme prévu par le préambule de notre instrument fondateur, j’ai nommé le Protocole de Ouagadougou.
Chers collègues, honorables invités, Mesdames et Messieurs, en concluant sur note d’espoir, je voudrais renvoyer à nos traditions africaines profondément enracinées qui placent à juste titre les femmes au cœur de l’espérance, car non seulement elles donnent la vie mais elles sont aussi les pivots de la coopération car ce sont elles qui rassemblent les familles. Et au moment de vous faire mes adieux, je suis heureux d’annoncer une autre de nos réalisations de ces dernières années, l’inscription, dans notre Règlement intérieur, du respect de la parité dans la composition du Bureau de la Cour.
En mettant en œuvre ces règles expresses pour la première fois dans l’histoire de la Cour, c’est avec fierté et plaisir que j’annonce que le Greffe n’a enregistré que des candidatures féminines à l’élection au poste de Président de la Cour, prévue immédiatement après la présente rencontre. Je dois dire que, bien que cette évolution résulte de l’application de la loi, il ne s’agit que d’une question de justice institutionnelle et sociale, compte tenu du fait qu’au cours des trois dernières années notre Cour a été composée en majorité de femmes juges, soit six sur onze. Avec la présence des femmes aux commandes de cette Cour, je suis pleinement confiant que notre héritage sera préservé et que la Cour enverra un autre signal fort à toutes ses partenaires du continent et d’ailleurs.
Pour conclure sur le chapitre de l’espérance, je vous prie d’accepter que je me réfère aux Saintes Écritures. Le Saint Coran prêche l’espérance lorsque, à la sourate 93 ad-Duhaa, versets 4-5, il est dit que : « La vie dernière t’est, certes, meilleure que la vie présente ; ton Seigneur t’accordera certes [Ses faveurs], et alors tu seras satisfait ». Il en va de même pour la Bible, qui, dans l’Épitre aux Romains, au chapitre 5, verset 5 nous enseigne que « l’espérance ne trompe point, parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné ». Chers collègues, honorables invités, tels sont en fait les vœux que je formule pour la Cour dans les années à venir, alors qu’elle poursuit sa marche vers l’instauration de la justice sur notre cher continent.
C’est sur ces mots prononcés avec un sentiment de gratitude, d’accomplissement et d’espoir, que je vous remercie encore du soutien que vous nous avez apporté tout au long de ces années et de votre aimable attention.
Sylvain Oré